À l’occasion des Rencontres nationales de la librairie qui se tiennent tous les deux ans et dont la cinquième édition se tient à Marseille, les 30 juin et 1er juillet, 700 libraires (dont Mehdi de Mots et cie et moi-même) et 200 autres professionnels du livre présenteront les problèmes qui touchent le métier, et leurs enjeux pour le futur.
Xavier Moni, président du SLF ( syndicat de la librairie française), et Maya Flandin, présidente de la commission commerciale du SLF, appellent, dans une tribune publiée par « le Monde » le 25 juin 2019, à une mobilisation autour des libraires, acteurs fondamentaux de la diffusion de la culture et de l’animation des villes.
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Libraires indépendants : la passion, mais à quel prix ?
La France a la chance de disposer de l’un des réseaux de librairies les plus denses au monde, maillant l’ensemble du territoire jusqu’aux plus petites villes. Alors qu’on les disait menacées par le développement des ventes en ligne et l’émergence du livre numérique, elles ont démontré leur solidité, au point d’être le premier circuit de vente, devant la grande distribution spécialisée ou alimentaire et Internet. L’engagement et la passion des libraires et l’émergence d’une nouvelle génération enthousiaste et combative expliquent cette résistance inédite.
Les librairies sont l’un de nos poumons culturels. Grâce à elles, de très nombreux auteurs et éditeurs trouvent leur public, des quartiers, des centres-villes, des bourgs s’animent et des lecteurs peuvent flâner, découvrir, être accompagnés par des femmes et des hommes passionnés par leur métier. Notre plaisir de librairie réside dans ces moments où nous détectons un auteur, où nous le défendons auprès de nos clients et, surtout, lorsque ces derniers nous remercient de leur avoir offert ces émotions de lecteurs. Alain Damasio, Fred Vargas, Goliarda Sapienza, David Vann, Marie-Hélène Lafon, Annie Ernaux, et tant d’autres, qui ont été lancés grâce à la passion de libraires.
Le succès des librairies tient à ce plaisir de la découverte et de la transmission, à leur attachement à la diversité, à leur persévérance à miser sur la relation humaine, au temps qu’elles donnent aux livres et à leurs clients. Ce succès ne se dément pas mais il est fragile. Tel est le paradoxe sur lequel tient, en équilibre, le métier de libraire. Ce thème sera au cœur des cinquièmes Rencontres nationales de la librairie que le Syndicat de la librairie française organise à Marseille les 30 juin et 1er juillet prochains.
Le chiffre d’affaires des librairies est stable depuis une décennie. Il connaît même une embellie depuis six mois. Chaque année, des centaines de jeunes rejoignent notre profession. L’attractivité des librairies n’est donc, fort heureusement, pas en cause. Néanmoins, leur situation financière est préoccupante, particulièrement pour les plus petites d’entre elles. La rentabilité, à peine quelques milliers d’euros pour une librairie de taille moyenne, et les salaires, proches du SMIC, sont faibles comparativement aux compétences et à l’engagement requis. De plus en plus, des librairies, acculées à trouver des économies, réduisent leurs équipes et leurs stocks, menaçant leur cœur de métier.
Derrière la stabilité du réseau des librairies et l’enthousiasme de celles et ceux qui l’animent se cache un mal imperceptible de l’extérieur mais qui ronge de l’intérieur. Il faut assurer aux libraires les moyens suffisants pour qu’ils puissent continuer à lire, découvrir des œuvres, les défendre auprès des lecteurs, accueillir, conseiller, organiser des rencontres avec les auteurs, des débats, des ateliers avec les jeunes, bâtir des passerelles avec les associations, les écoles, les bibliothèques…, tout ce qui nourrit la valeur ajoutée des librairies et repose sur les compétences de femmes et d’hommes qu’il faut pouvoir rémunérer.
Le marché du livre est structuré par le prix unique du livre, en vigueur depuis près de quarante ans. En évitant une guerre mortifère sur les prix, ce système a sauvé la richesse de la création et la pluralité des circuits de vente. Il confère aux éditeurs une responsabilité centrale. En fixant les prix de vente au public des livres, ceux-ci déterminent en effet à la fois le prix d’achat par le lecteur et les revenus des autres acteurs de la « chaîne » du livre, de l’auteur au libraire. Le prix unique appelle donc, de la part des éditeurs, une pratique consciente et élevée de la solidarité interprofessionnelle afin de contrebalancer la dépendance des autres professions du livre à leur égard. Cet esprit de responsabilité et de solidarité s’est aujourd’hui délité, par calcul ou par perte de vue des exigences qui accompagnent l’application du prix unique du livre. Ce n’est pas un hasard si les auteurs et les libraires alertent simultanément sur la détérioration de leur situation économique. A chaque extrémité de la « chaîne » du livre, le même constat s’impose, l’économie du livre ne dégage plus assez de valeur et cette valeur est trop inégalement répartie.
Si la situation de nombreux éditeurs indépendants n’est guère plus enviable que celle des libraires, il en va différemment des grands groupes qui commandent l’essentiel du marché. Les économies d’échelle qu’ils ont réalisées suite aux concentrations dans l’édition et dans la distribution, la baisse de leurs coûts de fabrication et de stockage leur ont permis de consolider leurs marges financières. Hachette livre, numéro 1 de l’édition en France et « pépite du royaume Lagardère » comme le titrait le Monde en avril 2018, a, malgré sa rentabilité enviable, les conditions commerciales les moins avantageuses, particulièrement pour les plus petites librairies.
Sur un plan culturel, commercial et social, le modèle des librairies est un modèle d’avenir. Il reste aujourd’hui à le conforter sur le plan financier. Cela passe par une reconstitution des marges des libraires grâce à un meilleur partage de la valeur au sein de notre filière et à une concurrence plus équitable avec la vente en ligne. La profession que nous représentons porte plusieurs revendications allant dans ce sens : une remise commerciale minimum de 36%, une meilleure répartition des frais de transport des livres, aujourd’hui à la charge exclusive des libraires, une réflexion sur la suppression des rabais que doivent consentir les libraires, malgré le prix unique, ou encore un tarif postal adapté pour être compétitif sur Internet.
Mobilisons-nous tous ensemble, avec nos clients, qui sont de plus en plus nombreux à être conscients que quelques pas vers sa librairie plutôt que quelques clics, ça peut tout changer.
Xavier Moni, librairie Comme un roman, Président du Syndicat de la librairie française et Maya Flandin, librairie Vivement dimanche, Présidente de la commission commerciale du Syndicat de la librairie française
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